Les réformateurs


Pierre Valdo dit: "​Valdès de Lyon" (1140-1217)


​     Le Mur des Réformateurs, érigé au début du XXe siècle à Genève, rend hommage à une vingtaine de personnages importants ayant marqué le mouvement de la Réforme. Nous nous proposons de les présenter brièvement en une série d’articles, en commençant par ceux qui y ont été ajoutés en 2001 seulement. En premier lieu, il nous a paru intéressant de consacrer ces lignes au plus ancien des précurseurs de la Réforme, Pierre Valdo, dit Valdès de Lyon.

     Pierre Valdo, Valdès ou Vaudès, était un riche marchand lyonnais. En ce début de XIIe siècle, le peuple était illettré, même les nobles et les chevaliers ne savaient ni lire ni écrire. Seuls le clergé et les marchands faisaient exception, ces derniers parce que leur commerce exigeait certaines connaissances.

     Valdo était donc lettré, intelligent, pieux, bienfaisant et de bonnes mœurs, honoré de tous. Il avait lu les écrits de pères de l’Eglise et constaté combien l’Eglise romaine s’était éloignée du christianisme, notamment au travers du dogme de la transsubstantiation et de l’adoration de l’hostie. Il fut alors pris d’un grand désir de connaître les Ecritures. Mais sa conscience fut vraiment réveillée un soir alors qu’il était à table avec quelques amis et que l’un d’eux tomba subitement mort. Cet événement lui fit se poser une question: était-il prêt à rencontrer Dieu, s’il mourait maintenant? Il confia sa préoccupation à son confesseur qui lui affirma que le meilleur moyen d’assurer son salut était de faire ce que Jésus avait dit au jeune homme riche: «Vends tout ce que tu as et donne-le aux pauvres.» C’est ce qu’il fit: il donna à sa femme et sa fille ce qui leur fallait pour vivre, paya ce qu’il devait et distribua le reste.

 Le salut par grâce

     Mais cela ne donna pas à Valdo la paix dans son âme. Il ne se satisfaisait pas de la doctrine du salut par les œuvres. Il avait soif de connaître la Bible qui, à cette époque, n’existait qu’en version latine. Aidé de deux prêtres, il entreprit donc de la traduire en langage courant et, ce faisant, il comprit où se trouvait le salut: dans la foi au Seigneur Jésus, mort pour nos fautes, et par sa seule grâce. Il se sentit alors poussé à annoncer la Bonne Nouvelle. Sa maison devint une florissante école et comme un hôpital public, pour héberger et nourrir les pauvres qui venaient de dehors pour être instruits. Petit à petit, il forma des disciples qui allaient deux par deux prêcher l’Evangile dans les rues et sur les places publiques, écoutés et gagnant des âmes.

     Comme Valdo et les siens condamnaient les erreurs de Rome, rejetaient le purgatoire, les indulgences et le culte des saints notamment, et les pratiques de ses prêtres, le clergé leur enjoignit de cesser leur enseignement sous peine d’être excommuniés, jugés et brûlés comme hérétiques. L’archevêque de Lyon voulut même faire saisir Valdo, mais celui-ci avait tant d’amis dans cette ville qu’il put rester caché durant trois ans, enseignant, encourageant et fortifiant les fidèles.

 Les pauvres de Lyon

     Le pape Alexandre III excommunia Valdo et ordonna à l’archevêque de procéder avec la dernière rigueur contre lui et ses disciples. Valdo fut ainsi contraint de fuir, avec un certain nombre d’entre eux, et ils se réfugièrent dans de petites communautés chrétiennes en désaccord avec Rome. Elles étaient nombreuses, du sud de l’Italie au nord de l’Allemagne, et unies entre elles. Dans la main de Dieu, ces fugitifs, que l’on appelait «les pauvres de Lyon», furent un moyen qui permit à l’Evangile de se répandre dans toutes les contrées où ils passaient. Au Piémont, ils rejoignirent d’autres exilés que l’on appelait les Vaudois, par analogie au prédicateur lyonnais, et leur apportèrent leur Bible qui avait été soigneusement recopiée. Les persécutions exercées avec persévérance et cruauté par l’inquisition et le clergé eurent finalement raison de ces petits groupes de chrétiens disséminés et qui refusaient de se soumettre à Rome. Ces communautés désiraient pourtant rester au sein de l’Eglise romaine, mais annoncer leur foi nouvelle, ce que Rome ne pouvait bien sûr tolérer. Elles ne subsistèrent que dans les vallées du Piémont, où elles subirent les plus terribles persécutions de la part de leurs ennemis.

     Quant à Pierre Valdo, il se rendit d’abord avec nombre de ses disciples dans le sud de la France, puis il dut fuir de nouveau et se rendit en Picardie, en Allemagne et enfin en Bohême, travaillant toujours à l’œuvre du Seigneur. C’est dans cette région qu’il termina paisiblement ses jours.
Ainsi, plus de trois siècles avant la proclamation des 95 thèses de Luther, naissaient, avec Pierre Valdo, les prémices de ce qui allait être la Réforme.

Auteur: René Neuenschwander

Paru dans Bible-Info , printemps 2005

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John Wycliff (1320-1384)

 

​John Wycliff (1320-1384)

     [John Wycliff] Le Mur des Réformateurs, érigé au début du XXe siècle à Genève, rend hommage à une vingtaine de personnages importants ayant marqué le mouvement de la Réforme. Nous les présentons, en commençant par ceux qui y ont été ajoutés en 2001 seulement. Après Valdès de Lyon, un autre précurseur de la Réforme fut l’Anglais John Wycliff.

     Au XIIIe siècle, l’Eglise de Rome avait soumis l’Angleterre, mais plusieurs conflits eurent lieu entre le pouvoir royal et la papauté, le premier résistant à la prétention du pape d’être le suzerain du roi. Plusieurs précurseurs de la Réforme s’illustrèrent dans ce pays. Avant l’apparition de Wycliff sur la scène, des évêques anglais s’étaient élevés contre la tyrannie de Rome, notamment Robert Grosse- Teste, un érudit qui lisait les Ecritures dans les langues originales, reconnaissait leur souveraine autorité et la mettait au-dessus du pape. Il s’opposa violemment à Innocent III. Dans la première moitié du XIVe siècle vécut en Angleterre Bradwardine, autre pieux prélat et homme savant. Il se convertit lui aussi à la précieuse doctrine de la grâce et s’opposa aux pratiques de l’Eglise romaine. Il devint, peu avant sa mort en 1349, archevêque de Cantorbéry. John Wycliff put profiter de son enseignement et, alors qu’il était étudiant en 1345, une terrible peste ravagea l’Asie, l’Europe et aussi l’Angleterre. Le jeune homme fut profondément troublé par ce qu’il considérait être un jugement de Dieu. Effrayé à la vue de ses péchés et dans l’attente de son jugement, il demanda à Dieu ce qu’il fallait faire. Dieu lui répondit par sa Sainte Parole en lui révélant ce qu’était le salut par grâce. Wycliff trouva la paix et résolut de faire connaître à d’autres ce qu’il avait appris.

     Nommé directeur du collège de Balliol, il démontrait et expliquait les doctrines de la foi aux étudiants, et le dimanche il les prêchait au peuple dans un langage simple. Il accusait le clergé d’avoir mis de côté les Saintes Ecritures et demandait que la Parole de Dieu soit rétablie dans l’Eglise. Il s’élevait avec véhémence contre les moines mendiants, qui dépouillaient pauvres et riches et vivaient dans l’opulence et la débauche. Il s’opposa aussi avec énergie au pape Urbain V, qui réclamait au roi Edouard III un tribut féodal et exigeait que ce dernier se reconnaisse comme son vassal.

     Wycliff fut ensuite nommé recteur de l’Eglise de Lutterworth et il se mit à prêcher avec hardiesse ses doctrines pour la réformation de l’Eglise. “L’Evangile est l’unique source de religion”, affirmait-il en s’en prenant vivement à la papauté. Ces propos alarmèrent le clergé et l’évêque de Londres l’accusa d’hérésie. Sommé de comparaître devant une assemblée du clergé à deux reprises, il ne dut d’avoir la vie sauve la première fois qu’à la protection des deux plus puissants seigneurs du royaume, la seconde à l’intervention de la reine mère, qui interdit de poursuivre les débats.

     Wycliff déclara alors: “J’ai l’intention et le désir, par la grâce de Dieu, d’être un vrai chrétien et, aussi longtemps que je respirerai, de professer et défendre la loi de Christ.” Dès lors, il se livra entièrement à l’oeuvre d’évangélisation, forma des disciples, qu’on appelait “les pauvres prêtres”, qui s’en allèrent prêcher dans tout le pays, jusque dans les plus petits hameaux, vivant d’aumônes et apportant l’Evangile en tous lieux. Le clergé obtint une loi qui ordonnait à tout officier de jeter ces prédicateurs en prison, mais la plupart du temps, le peuple les protégeait et empêchait leur arrestation.

     Son travail d’évangélisation et ses fonctions de professeur à Oxford épuisèrent John Wycliff et le menèrent à l’article de la mort. Le clergé lui envoya alors une délégation des quatre ordres religieux, accompagnés de quatre conseillers municipaux, qui avaient pour mission d’obtenir la rétractation de ce qu’il avait enseigné. Il refusa et affirma: “Je ne mourrai pas, mais je vivrai et je dénoncerai encore la turpitude des moines.” Contre toute attente, Wycliff se rétablit et put mener à bien l’oeuvre qui lui tenait à coeur par-dessus tout: donner aux Anglais ce que personne ne possédait, la Bible dans leur langue. Ignorant le grec et l’hébreu, il fut obligé de faire sa traduction d’après la Vulgate. Il y travailla durant dix ans, aidé de quelques amis, et en 1380 l’ouvrage fut terminé et copié pour être diffusé. L’accueil dépassa les espérances de Wycliff, mais cette diffusion lui attira les haines des ecclésiastiques, pour qui une Bible en anglais, que le peuple et même les femmes pouvaient lire (!), équivalait à “la perle évangélique foulée aux pieds par les pourceaux”. Certains plaçaient même l’Eglise au-dessus des Evangiles. Un exemplaire parvint au palais et la reine Anne de Luxembourg, épouse du roi Richard II l’étudia avec passion. Partisans et détracteurs de cette œuvre s’opposèrent violemment, et à la Chambre des lords on discuta même de faire saisir tous les manuscrits existants.

     Wycliff s’éleva également contre la doctrine de la transsubstantiation et ne cessa de dénoncer les erreurs de la papauté, ce qui lui valut d’innombrables attaques de la part du clergé et même du roi. Et si ses amis l’abandonnèrent peu à peu, lassés par les persécutions continuelles, sa foi en Christ et en la suprématie de l’Evangile sur toute autre doctrine humaine ne faiblirent jamais.

     Sommé de comparaître devant le pape Urbain VI, reconnu en Angleterre, alors que d’autres pays reconnaissaient Clément VII, il ne répondit pas à cet ordre, car sa santé était chancelante, mais il lui écrivit ses convictions. Trop occupé par sa lutte avec son rival, Urbain VI le laissa en paix et John Wycliff put finir sa vie sereinement, au milieu de ses paroissiens. Il écrivit encore son Trialogue, entretiens entre trois personnages imaginaires: la vérité, le mensonge et l’intelligence. Il s’éteignit paisiblement le 31 décembre 1384. Pour se venger de l’impuissance que l’Eglise de Rome avait eu à terrasser Wycliff de son vivant, le concile de Constance de 1415 ordonna que ses restes soient brûlés, ce qui fut fait en 1428. Ses cendres furent jetées dans un ruisseau. Ainsi, plus d’un siècle après le Français Jean Valdo, John Wycliff avait contribué à jeter les bases de la Réforme en Angleterre. Après sa mort, ses disciples, qu’on appelait les “Lollards”, poursuivirent son oeuvre à travers tout le royaume. Ils adressèrent même une requête au Parlement, demandant qu’on abolisse le célibat des prêtres, la transsubstantiation, la prière pour les morts, l’offrande faite aux images et la confession. Ils furent accusés d’hérésie et leurs rangs comptèrent de nombreux martyrs.

     Auteur: René Neuenschwander

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Jean Hus (1371-1415)

Jean Hus (1371-1415)

     [Jean Hus] Le troisième personnage ajouté en 2001 au Mur des Réformateurs à Genève, avec Pierre Valdo et John Wycliff, que nous avons présentés précédemment, est le Tchèque Jean Hus. Plus d’un siècle avant le véritable mouvement de la Réforme, il prêcha la Vérité, le salut par la foi et par grâce, et non par les oeuvres, à une époque de grands troubles dans l’église de Rome.

     Jean Hus est né au sud de la Bohême et ses parents, pourtant de condition modeste, l’envoyèrent faire ses études à l’Université de Prague. Sa carrière fut brillante. Il se montra tout d’abord très attaché à la papauté, entra dans les ordres, obtint de nombreux titres et la reine Sophie de Bavière le choisit pour être son chapelain. En 1402, il fut nommé prédicateur à la chapelle de Bethléem à Prague, édifice pouvant contenir 3000 personnes. Il y prêcha dans la langue du peuple.

     Pour exercer ses nouvelles fonctions, Hus eut à sonder davantage les Ecritures. Ainsi, il acquit une conception plus claire de la Parole de Dieu en croissant dans la connaissance des choses divines. Ce qu’il recevait par l’Esprit de Dieu, il le répandait autour de lui. Il lut aussi les écrits théologiques de Wycliff et se trouva en accord avec les réformes que ce dernier demandait. Plusieurs auditeurs furent saisis par ces idées nouvelles, d’autres s’y opposèrent. Mais grâce à la protection de l’archevêque et de la reine, il continua à proclamer la Vérité de l’Ecriture, en appelant constamment à elle pour justifier ce qu’il disait, malgré les attaques de ses ennemis. Il fut un véritable pasteur d’âmes, surtout pour les gens les plus humbles.

     Un événement se produisit alors qui ébranla la foi de Hus en l’autorité du pape. James et Conrad de Canterbury, disciples de Wycliff, gradés d’Oxford, arrivèrent à Prague. Ils tinrent des réunions publiques contre la doctrine de la primauté du pape. Les autorités de la ville leur enjoignirent de se taire. Mais les deux hommes savaient aussi bien peindre que parler. Ils peignirent dans le vestibule de la maison de leur hôte d’un côté le Christ entrant à Jérusalem sur un ânon et de l’autre la magnificence d’un cortège pontifical. Le contraste que ces peintures présentaient frappait les spectateurs. Cela déclencha une grande excitation et les Anglais jugèrent prudent de s’éloigner.

     [Jan Hus] Hus vint voir les fresques, étudia plus à fond les écrits de Wycliff et fut d’abord horrifié par la hardiesse des arguments présentés contre les abus, les superstitions et les erreurs de l’église de Rome et, enfin, fut convaincu de leur justesse. Le pseudo-miracle de Wilsnack (on avait découvert, sous les restes d’un ancien autel, des hosties rouges, que l’on prétendait être la chair et le sang de Christ mais qui, en fait, étaient simplement oxydées par l’humidité) contribua à ouvrir davantage les yeux de Hus. Bien que l’archevêque ait dénoncé la supercherie, les foules continuaient à venir se prosterner devant les hosties.

     A cette époque, deux papes se prévalaient de la légitimité de la fonction de vicaire de Christ, Grégoire XII à Rome et Benoît XIII à Avignon. Tous deux avaient été déposés par le concile de Pise, en 1409, qui avait élu Alexandre V, mais avaient refusé cette décision. Le nouveau pape mourut peu après, empoisonné, dit-on, par son ami qui allait lui succéder sous le nom de Jean XXIII.

     Hus dirigea alors ses attaques contre les prélats, puis les nobles, puis le clergé inférieur, dont la moralité était au plus bas, tout comme celle des habitants de Prague. Il se donna donc pour mission de réveiller les consciences.

     Ces prises de position lui valurent de nombreuses inimitiés et même des haines farouches. Il fut accusé d’hérésie, tout comme Wycliff, dont les écrits furent brûlés. A cause de ses prédications, la ville de Prague fut placée sous l’interdit et les églises furent fermées, toutes les célébrations religieuses étant proscrites. De plus, la chapelle de Bethléem devait être détruite et Hus saisi et brûlé. La forte opposition du peuple fit renoncer au projet les sénateurs chargés de l’exécution. Mais menacé, Hus dut s’exiler pour un temps. S’il n’eut jamais l’intention de quitter le sein de l’église, il dénonça avec force les indulgences que Jean XXIII accordait à ceux qui s’engageaient dans l’armée qu’il levait pour combattre les souverains qui refusaient son autorité et à ceux qui l’y aidaient financièrement.

     Peu à peu, la plupart des protecteurs de Hus l’abandonnèrent, mais fort heureusement Dieu lui avait suscité un ami inconditionnel, Jérôme de Prague, qui adopta ses idées et prêcha la Vérité avec lui. Les luttes intestines de l’église de Rome, qui occupaient le pape Jean XXIII, permirent aux deux hommes de jouir d’un répit durant lequel ils continuèrent à propager la Parole de Dieu.

     Bravant le danger, Jean Hus revint à Prague pour de courts séjours, se réfugiant chez des amis lorsque sa présence était connue. Toutefois, en novembre 1414, il fut sommé de comparaître devant le concile de Constance, réuni pour mettre fin au schisme dans l’église. Il s’y rendit muni d’un sauf-conduit de l’empereur Sigismond, censé le protéger. Tout d’abord les trois papes en fonctions furent contraints d’abdiquer et Jean XXIII, seul présent et repentant, fut… élevé au cardinalat après quatre ans d’emprisonnement.

     Le concile n’eut pas la même clémence pour Hus. On lui intima l’ordre d’abjurer ce qu’il avait enseigné, mais il refusa en proclamant: «Je ne rétracterai rien de ce que j’ai dit ou écrit, à moins que l’on ne me prouve que mes paroles sont en opposition avec la Parole de Dieu.» Après plusieurs jours de débats houleux, Jean Hus fut condamné en tant qu’hérétique obstiné et incorrigible, à être dépouillé de son caractère de prêtre et brûlé vif. A l’énoncé du verdict, il se mit à prier pour ses ennemis sous les rires moqueurs de quelques membres du concile. Il fut conduit au bûcher et mourut en chantant: «Jésus, fils de David, aie pitié de moi.» Ses cendres furent jetées dans le Rhin.

     Jérôme de Prague se rendit aussi au Concile, fut arrêté et torturé durant quatre mois. A bout de forces, il abjura toutes les hérésies dont il était accusé et celles de Wycliff et de Hus et approuva la sentence portée contre eux. Mais, après 340 jours de cachot, il fut pris de remords et demanda à paraître à nouveau devant le concile où il se rétracta. Il mourut sur le bûcher.

     Les travaux de Hus et de Jérôme de Prague n’avaient pas été stériles. Avant même la fin du concile, un mouvement naquit en Bohême, dont les partisans furent nommés hussites, sauvagement réprimé, par le nouveau pape Martin V. Mais la Réforme était en marche et rien ne pourrait l’arrêter.

Auteur: René Neuenschwander

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Martin Luther (1483-1546)


Martin Luther (1483-1546)

     [Martin Luther] On considère généralement Martin Luther comme le “père” de la Réforme, pourtant, le mouvement avait eu des précurseurs: Valdès, Wycliff, Hus, notamment, que nous avons présentés précédemment dans ces colonnes. Luther n’avait pas rencontré Christ avant que, à l’âge de 25 ans, ses yeux s’arrêtent presque par hasard sur le verset 17 de Romains 1: “Le juste vivra par la foi.”

     Bien que né dans une famille de mineurs, à Eisleben, en Saxe, Luther étudia le droit et c’est à vingt ans, à la bibliothèque de l’université d’Erfurt, qu’il découvrit pour la première fois une Bible. Son doctorat obtenu, il résolut brusquement d’abandonner la carrière juridique et entra au couvent des Augustins, contre la volonté de son père.

     Il était tourmenté par le sentiment de ses péchés et espérait trouver au couvent la paix de l’âme et une vie sainte. Mais au lieu de moeurs pures, il eut sous les yeux le spectacle de désordres de toute espèce.

     Il était convaincu que les mortifications qu’il s’infligeait volontairement constitueraient un grand mérite aux yeux de Dieu. Il pensait en effet devoir mériter son salut par ses bonnes œuvres et la discipline de l’ordre. Il fit plus tard cet aveu: “Je ne croyais pas en Christ, je le craignais comme un juge sombre et terrible.”

     Ce sont deux Augustins qui lui ouvrirent les yeux sur la Rédemption par l’œuvre de Christ à la Croix. Dès lors, l’enseignement qu’il dispensait à l’université fut transformé, il reposait sur la Bible seule. Il rendit ainsi à la Vérité la place dont l’église romaine l’avait privée.

     Ce que Luther vit lors d’un séjour à Rome, où il avait été envoyé pour régler un différend entre les Augustins et le Saint- Siège, le convainquit qu’une réforme complète de l’église était indispensable. Il ne pouvait notamment que s’opposer de toutes ses forces à la vente des indulgences qui se pratiquait alors en Allemagne.

     Après avoir prêché contre ce commerce, il afficha à la porte de la cathédrale de Wittenberg ses 95 thèses qui résumaient l’enseignement de la Bible et condamnaient l’odieux trafic. Elles se propagèrent rapidement. Au bout de quinze jours, toute l’Allemagne les connaissait, après un mois, on les lisait dans toute la chrétienté, grâce aux nombreux pèlerins venus en ville, et elles provoquèrent une grande agitation.

     Mais si Luther était d’un tempérament fonceur, aux périodes d’euphorie succédaient des moments de profond découragement. Ainsi, il tremblait à la pensée d’avoir contre lui toute l’église à laquelle il se rattachait encore. C’est alors que le Seigneur plaça à ses côtés un collaborateur de valeur, Philippe Melanchthon. Contrairement à Luther, il était doux et paisible, mais jouissait pourtant d’une grande autorité.

     A Rome, le pape Léon X s’inquiétait des remous provoqués par Luther et lui ordonna de se présenter devant lui. Obéir était courir à la mort, mais son puissant protecteur, l’électeur Frédéric de Saxe, obtint qu’il soit jugé en Allemagne. Le procès, à Augsbourg, porta essentiellement sur l’affirmation que “seule la foi sauve”, propagée par Luther. Ce dernier refusa de rétracter ses propos, à moins qu’on lui démontre par la Bible qu’il avait tort. Menacé, Luther s’enfuit à Wittenberg. Provoqué par le docteur Eck, autrefois son ami, il se rendit à Leipzig pour l’affronter dans un débat public où il le confondit, proclamant notamment que, à la lumière des Ecritures, le pape usurpait le titre de vicaire de Christ.

     La guerre au Saint-Siège était déclarée et, en août 1520, Luther lança son célèbre “Appel à Sa Majesté Impériale et à la Noblesse chrétienne de l’empire allemand concernant la Réforme de la Chrétienté.” Il publia encore de nombreux ouvrages qui se répandirent dans toute l’Europe. Sous la pression de Eck, mortifié par l’influence grandissante de Luther, le pape accepta de le condamner. Un émissaire fut envoyé auprès de l’électeur de Saxe afin qu’il fasse exécuter la sentence d’excommunication: brûler les écrits de Luther et lui infliger le châtiment qu’il méritait. Erasme, consulté, proposa que la question soit soumise à des juges impartiaux.

     [Wartburg] Pendant ce temps, l’empereur Maximilien venait de mourir, et les électeurs appelèrent Charles Quint à la tête de l’Allemagne. Le jeune souverain, catholique convaincu, était aussi épris de justice. Il convoqua Luther à paraître devant lui et la Haute Assemblée, muni d’un sauf-conduit. Le réformateur obtempéra. Durant tout le procès, il refusa de renier ses écrits et ses convictions, se défendant au nom de la Parole de Dieu et soutenu puissamment par le Seigneur. Autorisé à rentrer à Wittenberg, il fut enlevé en chemin par cinq cavaliers qui le conduisirent à la Wartburg. L’électeur de Saxe, qui avait eu connaissance d’un complot pour assassiner Luther, l’avait ainsi mis en sécurité dans son château. Durant son repos forcé, Luther entreprit de traduire le Nouveau Testament en allemand, puis la Bible entière, qui furent très largement diffusés.

     Pendant ce temps, sous l’impulsion de Thomas Munzer, qui se prétendait prophète, des illuminés se mirent à saccager les églises et les couvents. Sortant de sa cachette, Luther parvint à rétablir l’ordre. Il avait alors 39 ans, la fougue de la jeunesse s’était calmée et trois ans plus tard, il épousa Catherine de Bora. Il publia aussi énormément, 313 ouvrages en deux ans. S’il réorganisa le culte, il n’avait pourtant pas abandonné certaines idées contractées dès son enfance, se contentant de supprimer les plus grossières pratiques du catholicisme.

     Des troubles en Allemagne , puis dans toute l’Europe , occupèrent les souverains, ce qui laissa un répit à Luther, qui publia son Exhortation à la paix. Accusé de prendre le parti des insurgés, il fut condamné par la deuxième diète de Spire qui prétendit contraindre les partisans de la Réforme à exécuter l’édit d’excommunication. Ceux-ci protestèrent énergiquement et, pour la première fois, on les nomma «protestants».

     Charles Quint, qui n’avait pu se rendre à Spire, fut irrité et convoqua une nouvelle diète à Augsbourg. Craignant pour sa vie, Luther se fit représenter par Melanchthon. Moins intransigeant que son maître, celui-ci fit quelques concessions, au grand mécontentement de Luther. Les princes protestants tinrent ferme dans leurs convictions, mais eurent une attitude agressive et une guerre civile en résulta. Ulcéré, Luther se retira peu à peu de la vie active, se contentant de consolider par ses écrits l’édifice qu’il avait construit.

     Affaibli, usé par le travail, ce fidèle serviteur s’endormit dans le Seigneur le 19 février 1546, mais son oeuvre se poursuivit, notamment avec Melanchthon.

Auteur: René Neuenschwander

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Guillaume Farel (1489-1565)

Guillaume Farel (1489-1565)

     [Guillaume Farel] Guillaume Farel fut un évangéliste itinérant, un orateur au verbe haut plus qu’un écrivain. Il prêchait en tous lieux, une place publique, une chambre, il lui suffisait d’une pierre, un escabeau d’où il exhortait son auditoire, si les chaires lui étaient refusées. Ou alors une salle de tribunal, car il avait l’art de traiter de larrons les prêtres qui abusaient des fidèles, afin d’être cités par eux en justice. Lui-même intentait des procès à ceux qui l’injuriaient ou le frappaient, occasions d’annoncer la Parole de Dieu en public! A Genève, Il prépara le terrain avant l’arrivée de Calvin.

     Fils d’une pieuse famille de notaires, il ne méprise pas la religion de ses pères, mais toutes les dévotions que lui prescrit son Eglise ne lui procurent pas la paix de son âme.

     Ses études à Paris le font entrer en contact avec le réveil de la culture qu’est l’humanisme. Lefèvre d’Etaples lui conseille de lire la Bible où il constate avec stupeur qu’elle contredit sur plusieurs points ce qu’on lui a enseigné. Il comprend que la grâce est un cadeau de Dieu, qu’elle n’est pas le fruit des œuvres.

     Plusieurs années de recherche, de tâtonnements et de lecture persévérante de l’Evangile seront toutefois nécessaires à Farel pour rompre avec ses habitudes et sa façon de penser. Il cherche, prie, écoute ses compagnons en quête de la Vérité et enfin, au début de l’an 1521 semble-t-il, l’Esprit l’éclaire. Il ne peut, dès lors, garder pour lui seul la joie et la force que lui procure la Parole de Dieu. La Bonne Nouvelle doit embraser le monde. A Paris, à Meaux, puis à Bâle, où son zèle provoque une discussion publique, il ne se donne aucun répit.

     Son langage est imagé, précis, vigoureux mais paraît quelque peu sommaire au grand Erasme qui intervient contre lui auprès du Conseil de Bâle. Farel doit quitter la place. Il se rend alors à Montbéliard où le seigneur du lieu lui réserve bon accueil et l’autorise à prêcher dans l’église du château. Sa verve lui vaut les félicitations d’OEcolampade, réformateur de Bâle, qui lui demande toutefois de modérer son ardeur en lui écrivant: «Tâchez d’imiter le Christ par votre vie et, j’y insiste, par votre manière d’enseigner. » Il est aussi l’objet d’insultes et la cible de contradicteurs. Sous la pression de l’archevêque de Besançon et de la Diète suisse, il devra quitter Montbéliard en mars 1525. Il se rend à Bâle, puis à Strasbourg et, en 1532, il arrive à Genève en compagnie d’Olivétan et de Saunier. Le clergé ameute le peuple contre eux et ils sont contraints de fuir. Les partisans de la Réforme se sentent brimés, mais Farel ne s’avoue pas vaincu. Il prêche le 4 janvier 1534, avec Pierre Viret, dans la maison d’un notable. Malgré les émeutes, une tentative d’empoisonnement, des menaces extérieures, les deux hommes sont, au milieu des Genevois, comme des Evangiles vivants. La pure Parole de Dieu continue à se frayer un chemin. La Dispute de Rive, en juin 1535, en assure si bien le triomphe que le 10 août, la messe est suspendue et le Conseil général déclare «vouloir vivre en cette sainte loi évangélique et Parole de Dieu». Lorsque Calvin arrive à Genève, la République et son Eglise peuvent tranquillement songer à s’organiser. Farel restera deux ans encore à Genève, puis il s’effacera devant celui qu’il considère comme son maître et s’installera à Neuchâtel.

     Dans cette ville, la lutte se révèle âpre, semée d’embûches et d’échecs. Pourtant Farel avait été sollicité par la Vénérable Classe des pasteurs, le Conseil de Ville et les bourgeois. Dès juillet 1530, il avait enflammé les foules à Neuchâtel et le 4 novembre, on avait voté, la ville avait basculé dans le camp des évangéliques.

     Farel ne laisse pas en paix ceux qui croyaient que la Réforme se contenterait de les débarrasser des contraintes et traditions, des superstitions, des rites, des oeuvres de charité et de piété, imposés par un clergé avide de pouvoir et d’argent, sans rien exiger d’autre que la fréquentation passive du prêche. Par exemple, il s’en prend à la fille du gouverneur qui a quitté son mari, il dénonce le mal. Impulsif, voire imprudent, quelquefois maladroit ou impatient, il s’attire des inimitiés. On veut le chasser, mais il tient ferme dans sa ligne de conduite et ses adversaires ne trouvent rien contre lui.

     Farel voit en Neuchâtel un centre de rayonnement de la Réforme. Il y veut une bonne école, un collège, voire une académie. Mais pensionnaires et écolages ne l’empêchent pas de végéter. De plus, la régence de Claude de Guise, adversaire acharné de la Réforme, menace même les acquis. La tentation de quitter la ville est grande, d’autant qu’on l’appelle à Genève, mais il ne veut pas partir avant d’avoir trouvé un remplaçant qualifié. Il n’en trouve point et il reste. Sa tâche est lourde. Prêcher, enseigner, visiter les malades à l’hôpital et à domicile, les lépreux à la Maladière, les vieillards, les prisonniers. Elle n’est pas sans risque: à Valangin, il est battu et traîné jusqu’à la chapelle où on le fait s’agenouiller en lui ordonnant: «Juif, adore ton Dieu», en lui frappant la tête contre la pierre.

     Infatigable, il se rend à Bâle, à Montbéliard, à Aigle, au Vully, à Morat, à Tavannes, à Metz, partout, il fait preuve de la même hardiesse, du même talent polémique, de la même résolution, du même amour. Il sera à Metz en juin 1525, juste après le massacre des paysans par Antoine de Lorraine et Claude de Guise, mais il est menacé d’arrestation et doit se réfugier à Strasbourg. Encore en 1542, où il prêche dans le cimetière des Jacobins alors qu’on a fait sonner les cloches pour couvrir sa voix. Puis en 1543, le jour de Pâques, alors que, à Goze, aux portes de la ville, 200 fidèles s’apprêtent à célébrer la cène, interdite dans la cité, la troupe charge. Il y a trois morts et la tête de Farel est mise à prix. Avec Calvin, il se battra pour défendre et réconforter les protestants de Metz, mais, sous la menace, la ville retombera sous la coupe de Rome. Calvin, fatigué, rejoint Genève, qui deviendra la «Rome du protestantisme », et Farel Neuchâtel, après un an d’absence. Il encourage son ami lorsqu’il devra faire face à l’adversité, il assiste le condamné Servet dans ses derniers moments, sans pour autant s’opposer à son exécution.

     A 69 ans, le 20 décembre 1558, il épouse la très jeune fille de la veuve d’Alexandre Thorel, de Caen, mariage qui provoque quelques remous vite oubliés. Il sera encore à Gap, où une Eglise nombreuse se constitue, à Grenoble, à Die. Il assiste aux derniers instants de Calvin et s’éteint le 13 septembre 1565. Alors qu’il avait miraculeusement guéri d’une grave maladie qui l’avait frappé douze ans auparavant, Calvin lui avait souhaité encore dix ans de labeur. Onze lui furent donnés. Dieu écoute ceux qui font sa volonté.

Auteur: René Neuenschwander

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Philippe Mélanchthon (1497-1560)


Philippe Mélanchthon (1497-1560)

Jeunesse de Mélanchthon

     Philippe Schwartzerd, dit Mélanchthon vit le jour le 16 février de cette année-là à Bretten, appartenant à l’électorat[1]. Il est le premier né d’une fratrie de 5 enfants (1frère et 3 sœurs).

     Son père Georges et sa mère Barbara étaient tous deux des personnes charitables et pieuses qui élevèrent leurs enfants dans la crainte de Dieu.

     Philippe commença par fréquenter l’école de sa ville natale mais en fut vite retiré à cause d’une dangereuse maladie sévissant alors dans la région. Il eut pour maître distingué un nommé Jean Unger, celui-ci dispensa à son élève une instruction solide ce dont Mélanchton lui sera toujours reconnaissant. Très tôt on discerna chez Philippe des dons extraordinaires pour les études, il saisissait très rapidement toutes les matières qu’on lui enseignait.

     Le père de Philippe mourut en 1508 lorsqu’il était âgé de 10 ans. Peu avant sa mort, il fit venir Philippe auprès de lui et lui dit: «J’ai vu dit-il, de grands changements dans le monde, mais il s’en prépare de bien plus considérables encore. Je demande à Dieu qu’il veuille te diriger à cet égard. Je t’exhorte mon fils à craindre Dieu et à vivre d’une manière honorable» Ces paroles dira plus tard Mélanchthon restèrent gravées dans sa mémoire aussi longtemps qu’il vécut.

     Philippe fut envoyé à Pforzheim chez une parente de sa mère. Celle-ci était la sœur de Johannes Reuchlin[2], célèbre philosophe et théologien allemand, qui fut avec Erasme un des plus brillants hellénisant et hébraïsant de son époque.

     Mélanchthon se lia d’amitié avec lui et ce fut Reuchlin qui hellénisa le nom de famille de Mélanchton (Terre Noire) ce qui était une coutume en cours dans les cercles humanistes de l’époque. Là, il eut pour recteurs les nommés Georges Simler et Jean Hildenbrand, tous deux hommes de grandes capacités. Outre le latin on lui enseigna également le grec, ce qui était à cette époque une marque de distinction évidente. Il devint rapidement le meilleur élève de son école malgré qu’il en soit le plus jeune
1509

     2 ans plus tard, alors âgé de 13 ans, il fut admis à l’université de Heidelberg. Il y étudia avec acharnement les langues anciennes et put même donner des cours en l’absence de son professeur. Il recevra en 1511, à l’âge de 14 ans le grade de bachelier ès lettres classiques. Durant cette même année furent imprimées ses premières œuvres essentiellement poétiques
1512 - Université de Tübingen

     Mélanchthon rejoignit ensuite l’université de Tübingen ou il y étudia les écrivains classiques grecs et latins, les mathématiques et l’astronomie, la jurisprudence et la médecine. C’est également à cette époque qu’il fit la connaissance et se lia d’amitié avec Jean Husschin, dit Œcolampade[3] , futur réformateur Suisse-Allemand et condisciple de Zwingli.

     Mélanchthon se sentait progressivement attiré vers la théologie. A cette époque les Ecritures Saintes étaient tenues à l’écart du plus grand nombre, l’enseignement catholique ne suffisait pas à étancher la soif de vérité de Mélanchthon. Reuchlin lui envoya alors une bible qu’il se mit alors à lire jour et nuit et qu’il transportait partout avec lui.

     On ne peut situer ponctuellement la conversion de Mélanchthon, elle paraît s’être opérée graduellement, par une lecture attentive et régulière des Ecritures et par de nombreux partages avec Reuchlin.
1514

     Philippe alors âgé de 17 ans, premier sur 11 candidats, reçut le grade de maître ès art philosophie. Il eut à ce titre le droit de dispenser des cours à l’université où il enseigna la poésie (Terence, Virgile, Cicéron et Tite-Live). Sa réputation commença à dépasser les frontières. A titre d’exemple, citons une éloge (non pas de la folie) de la plume du grand humaniste Erasme de Rotterdam écrite en 1516:

     «Mon Dieu, quelles espérances ne peut-on pas concevoir de Philippe Mélanchthon, qui quoique jeune homme, et même presque enfant, possède une égale connaissance des deux langues! Quelle sagacité dans l’argumentation, quelle pureté dans l’expression, quelles connaissances rares et universelles, que de lecture, quelle délicatesse et quelle finesse d’esprit ne trouve-t-on pas en lui!»
1518

     A cette date, à l’âge de 22 ans il se vit offrir le poste de professeur de grec à l’université de Wittemberg, célèbre en Europe puisque six mois plus tôt (31.10.1517), un moine augustin du nom de Martin Luther y avait affiché ses 95 thèses contre les indulgences. Celui-ci en entendant le discours inaugural de Mélanchthon comprit immédiatement que la réformation venait de gagner à sa cause un homme de très grande envergure. Tous deux malgré leurs grandes différences s’apprécièrent énormément. Les deux personnages formaient un duo parfaitement homogène.

     Voici comment Luther définissait leur collaboration: «Je suis né pour combattre les factions du diable et les mettre à terre. C’est pourquoi mes livres sont impétueux et belliqueux. Moi j’arrache les racines, je coupe les broussailles, je dessèche les marais, je fraie et j’aplanis le chemin. Lui repasse proprement, laboure et plante, sème et arrose avec plaisir selon les dons que Dieu lui a donnés.»

     La symbiose qui s’opéra entre le réformateur et l’humaniste, s’avéra rapidement prolifique. Mélanchthon put apporter à Luther ses profondes connaissances linguistiques dans les traductions Luthériennes de la Bible. Inversement, avec l’aide de Luther, Mélanchthon pénétra plus profondément les subtilités théologiques et fut rapidement considéré comme le second de Luther.
1519 - «La Dispute de Leipzig[4]»

     Le 27 juin de cette année, Mélanchthon en qualité de simple spectateur, accompagne Luther et Carlstadt[5], à Leipzig, pour une conférence les opposant au Dr Johann Eck[6], vice-chancelier de l’université d’Ingolstadt. Les discutes durèrent 3 semaines et portèrent sur des sujets comme «le libre arbitre, la primauté du pape, le purgatoire, les indulgences, la repentance, l’absolution et la satisfaction.» Ces débats marquèrent un tournant décisif car elles permirent à Mélanchthon de se déterminer théologiquement. Il quitta Leipzig fortifié pour toute sa vie, entièrement conquis à la cause défendue par Luther.

     Dès lors Mélanchthon n’hésite plus à se lancer ouvertement dans les controverses doctrinales. Ayant obtenu dans l’intervalle le grade de Docteur en Théologie, il assiste Luther dans la rédaction de divers commentaires bibliques (Romains-Matthieu) ainsi que des traités particulièrement destinés à l’usage du peuple.
1520

     Le 25 novembre 1520, Mélanchthon se marie avec Katerina Krapp, femme pieuse qui sera une excellente mère de famille fille. Leur union fut heureuse et dura 37 ans.

     1521 Cette année-là, Mélanchthon écrivit l’un de ses meilleurs ouvrages: Les lieux communs ou Les principaux articles de la doctrine chrétienne[7], Commentaire pratique, basé sur l’épître aux romains traitant de sujets comme de la justification, de la foi et des bonnes œuvres. Certains considèrent ce livre comme le premier traité de Dogmatique de l’Eglise évangélique. Luther le considérait comme quasi canonique.

     Afin d’apaiser les tensions théologiques croissantes entre catholique et réformés, l’empereur catholique Charles-Quint convoqua la Diète de Worms le 28 janvier 1521. Luther devant y assister confia à Mélanchthon la charge de le remplacer. Tout le fardeau de la réformation reposa alors sur un jeune homme de 24 ans, qui ne se sentait pas la force de le porter. Il ne perdit pourtant pas courage et redoubla d’efforts dans l’enseignement et la rédaction de diverses publications, dont une apologie de Luther[8].

     Durant ce temps, Mélanchthon dut faire face à des dissensions intestines avec ses collègues de Wittemberg. Certains en effet pensaient qu’il fallait expurger radicalement et rapidement le levain cultuel romain.[9] Le prince électeur chargea Mélanchthon avec une commission d’étudier cette question. Malgré un préavis favorable, l’électeur les intima à plus de pondération dans ces réformes concernant des sujets fondamentaux. Cette demande ne trouva pas d’écho positif parmi les tenants de la rupture et la polémique s’étendit rapidement à d’autres régions de l’Allemagne[10]. Afin de calmer les esprits Luther, publia alors un écrit qui imprima à ce mouvement une démarche biblique.[11]

     Un autre mouvement susceptible de créer une division prit rapidement une ampleur inquiétante. Avec Carlstadt à sa tête, on vit émerger des personnes prétendument inspirées par des visions surnaturelles. Mélanchthon fut d’abord troublé positivement par ces manifestations. Mais ce mouvement pris rapidement des proportions si inquiétantes qu’on en vint à considérer comme hérétique toute personne s’y opposant. La pression devint si forte que Mélanchthon pressa Luther de venir trancher la question. Celui-ci, encore au ban de l’empire pris le risque de quitter son refuge de Wartbourg et se rendit à Wittemberg . Il y prêcha huit jours consécutifs et réussit quelque peu à endiguer le flot de fanatisme.
1523

     Le calme revenu, Mélanchthon, tout en continuant à enseigner la culture classique apporta son aide à Luther pour la traduction de l’A.T. Il publia également en 1523 plusieurs livres de l’Ancien et du Nouveau Testament.
1524

     A force de travail acharné, la santé de Mélanchthon venant à s’amenuiser, il fut contraint au repos. Il quitta Wittemberg pour Bretten afin d’y retrouver sa mère. Durant son séjour dans sa ville natale, il reçut la visite de Nausea, secrétaire de Campegio, représentant du pape. Celui-ci tentera sans succès de corrompre le réformateur. Après quelques mois de convalescence, Mélanchthon rentra à Wittemberg. Pour l’anecdote il rencontra fortuitement en chemin, le prince Philippe de Hesse. Celui-ci lui ouvert à la réforme, proposa une escorte au réformateur contre la promesse qu’il lui fasse parvenir un rapport sur les réformes à introduire dans la religion. Mélanchthon s’acquitta de cette tâche dès son arrivée[12].
La révolte des paysans 1524-1525

     Ces années affectèrent particulièrement Mélanchthon car elles marquèrent le commencement des persécutions à l’encontre des réformés. Elles touchèrent particulièrement le petit peuple qui se soulevèrent contre l’autorité dans ce qu’on appelé: «La révolte des Paysans» Celle-ci favorisa les ennemis de la réforme qui la présentèrent comme un fruit de la nouvelle doctrine.

     Comme les émeutes atteignaient maintenant la patrie natale[13] de Mélanchthon, l’électeur Louis lui demanda de venir en tant que conseiller. Ne pouvant se déplacer, il écrivit néanmoins mais écrivit un traité[14] composé de 12 articles, dans lequel il demandait aux paysans de se soumettre aux autorités, et à ceux-ci de s’humilier et de faire preuve de miséricorde. Les nobles néanmoins ne tinrent pas compte de ces recommandations et réprimèrent la rébellion dans un bain de sang.

     1526 Nommé contre sa volonté professeur de théologie, Mélanchthon s’atèle à un programme de formation conséquente des pasteurs. Sa réputation dépassant maintenant les frontières de la Saxe, il fut bientôt appelé de partout afin de réorganiser et de créer diverses institutions. Il visitera également les écoles et les églises qu’il trouvera selon son appréciation dans un état tellement lamentable qu’il en pleurera chaudement.

     Afin de palier à cette déplorable situation, on fractionna le pays en plusieurs circonscriptions, la Thuringe fut échue en partage à Mélanchthon. Celui-ci rédigea à l’adresse des pasteurs un document[15] qui est considéré par les historiens comme la première confession de foi de l’église Luthérienne. Cette instruction quoique elle fut accueillie chaleureusement par le plus grand nombre des pasteurs, suscita néanmoins la colère d’autres notoriétés telles que Jean Agricola[16] dont la doctrine antinomisme fut réfutée à la conférence de Torgau en novembre 1527.
1529 - Diète de Spire

     L’Allemagne est à cette époque au bord d’une guerre de religion. L’Empereur Charles-Quint décide alors de convoquer une diète à l’endroit de Spire en date du 1er février 1529. A cause de son caractère modéré Mélanchthon y est envoyé par l’électeur Jean-Frédéric. Malgré les tractations, cette diète ne favorisa pas les Etats évangéliques. Elle se ponctuera par la réaffirmation de l’édit de Worms de janvier 1521 qui décréta l’excommunication de Luther et sa mise au ban de Luther. Les réformés firent recours à cette décision et remirent à l’empereur une protestation ce qui leur valut d’être appelés depuis «Protestant[17]» Cette initiative irrita fortement Charles-Quint qui tint des propos si menaçants que Mélanchthon jugea préférable de s’enfuir de Spire. Notons qu’outre ces dissensions, les deux factions s’entendirent néanmoins pour sévir contre le mouvement anabaptiste, ce qui permit les violents décrets qui s’ensuivirent.
Colloque de Marbourg

     La question de la Cène venant à diviser dangereusement le courant protestant, Philippe de Hesse, réformé convaincu, jugea nécessaire de ménager une concertation à Marbourg en septembre 1529. Méalnchton, bien que convaincu de l’inutilité de cette rencontre s’y rendit avec Luther et d’autres coreligionnaires[18]. La partie adverse se composait de Zwingli et d’OEcolompade, Martin Bucer et Hédion.

     Bien que ce débat se déroula sereinement, chacune des deux factions campa sur ses positions doctrinales, ce qui affecta profondément Mélanchthon qui avait nourri certains espoirs de conciliations. On a dit que cette réunion marque ponctuellement l’amorce d’une rupture interne, ce qui se vérifiera dans les futures tentatives de conciliation[19]

     1530: La Diète d’Augsbourg, la Confession d’Augsbourg et l’Apologie de la Confession d’Augsbourg

     Charles-Quint, désirant endiguer le clivage religieux convoque la Diète d’Augsbourg. Luther toujours au ban de l’empire ne peut y participer, Mélanchthon[20] est alors chargé de formuler une confession de foi Luthérienne. Malgré son ton qualifié d’irénique, Luther en sera pleinement satisfait. Certains salueront celle-ci[21] comme un «Monument d’harmonie entre les deux réformateurs.»

     La Diète débute le 20 juin 1530. En homme pacifique, Mélanchthon est disposé à certaines concessions mineures. Les jours passant, les débats redoublent d’intensité . Intriques et menaces sont si fortes qu’il en devient si désespérément mélancolique, qu’il est même près à de plus grandes compromissions envers le cardinal Campégio[22] Fort heureusement , il se voit repris par l’électeur de Saxe et par Luther qui lui dira entre autres choses ceci: «C’est ta philosophie qui te donne tous ces tourments et non la théologie» Mélanchthon reprend courage et défendit avec la plus grande fermeté la Confession d’Augsbourg. A celle-ci les catholiques opposèrent un document qui fut appelé «La Confutation». Mélanchton dira de celle-ci: «Parmi tous les livres sots et puérils de Faber, la Confutation est un prodige».

     Après de multiples et vains débats, la conférence se solda par un échec le 7 septembre. Charles-Quint désavoua les Etats évangéliques et les somma de faire allégeance à l’église catholique en leur fixant une échéance au 15 avril. En guise de réponse, on chargea encore une fois Mélanchthon de rédiger un document qu’on appela l’Apologie de la Confession d’Augsbourg[23] Charles Quint ne voulut pas la recevoir et resta inébranlable. Mélanchthon quitta Augsbourg le 23 septembre pour retourner à Wittemberg.
1531: La ligue de Smalkalde

     Les résolutions de l’empereur amenèrent les Etats protestants à s’unir pour prévenir un danger militaire. Mélanchthon postulat pour la légitimité biblique d’une guerre défensive. On signa le 19 mars 1531 un document qui donnera naissance à la ligue dite de Smalkade. Devant prioritairement juguler la menace de l’envahisseur turc, l’empereur juge plus prudent de remettre à plus tard les représailles à l’encontre des réformés. Il accorde le 23 juillet une paix religieuse qu’on appellera la Paix de religion de Nuremberg. Celle-ci réjouit le cœur de Mélanchthon et lui permit de retrouver un peu de calme et de tranquillité.
1533-1534

     Le pape Clément VII proposa au nouvel électeur de Saxe Jean Frédéric[24] la tenue d’un nouveau concile qui n’était pas moins qu’une demande de soumission aux résolutions papales. Suivant le conseil de Mélanchthon, une réponse indéterminée fut envoyée au pape et l’on profita de ce temps de flottement pour travailler plus ardemment aux progrès de la réforme. Mélanchthon en profita pour faire réimprimer son Explication de l’Epître aux Romains dédiée à l’Archevêque Albert de Mayence.

      Le roi de France François 1er et celui d’Angleterre Henri VIII, ennemis de Charles Quint voyaient positivement la création de la ligue de Smalkalde car elle représentait pour eux un contre pouvoir exploitable au sein même de l’empire ennemi. Bien que catholique et persécuteur des réformés français, François 1er pensait néanmoins faire entrer la France dans l’alliance des Etats évangéliques

     Mélanchthon fut chargé d’établir un rapport sur le moyen de rétablir l’unité dans l’Eglise française. Il rendit à cet effet un rapport très conciliant, susceptible d’amener la paix religieuse en France. Ce ne fut qu’en mars 1535 que Mélanchthon apprit que François 1er fut grandement irrité par ces innovations jugées par trop prématurées.

     En 1536 et malgré les persécutions sévissant en France, Mélanchthon fut à nouveau invité personnellement et amicalement par roi lui-même. Mélanchthon ayant l’aval de Luther est près d’accepter, mais se voit finalement refuser sa demande de congé par l’électeur, plus au fait des intrigues politiques.

     Arriva également dans le même moment, une invitation émanant du roi d’Angleterre Henri VIII. Celui-ci ayant rompu avec l’église de Rome à cause de la non-reconnaissance de son divorce pense pouvoir le justifier par la présence même du réformateur sur le sol anglais. Mélanchthon, de son côté y voit une formidable occasion de répandre l’Evangile en Angleterre, ce que n’approuve pas la majorité des théologiens de Wittemberg. Finalement, l’électeur refusera de le laisser partir
Colloque de Wittemberg

     Afin de tenter de régler le litige réformé sur la doctrine de la cène, l’électeur Philippe convoqua le colloque de Wittemberg. En prévision de cette rencontre, Martin Bucer et Mélanchthon se réunirent préalablement à Cassel afin de travailler à une définition commune. Mélanchthon adhéra au point de vue de Bucer sur cette question.

     Cette déclaration plut à Luther qui demanda néanmoins un délai d’attente avant sa ratification. De toutes parts Luther et Mélanchthon reçurent du courrier les enjoignant à s’unir autour de cette concorde. Méalnchthon demeurait perplexe sur un point concernant Bucer, à savoir son attachement envers Zwingli et OEcolompade. Bucer dû consentir préalablement à se rétracter de son allégeance aux doctrines Zwingliennes. Le 29.05. 1536, on parvint finalement à un accord qu’on nomma Concorde de Wittemberg , celle-ci procura une grande joie parmi les réformateurs allemands.

     Mélanchthon dont la santé avait beaucoup souffert demanda un congé de 5 semaines et se dirigea sur Bretten, puis se rendit à Tübingen pour retrouver son ami Camerarius[25]. Pendant son séjour, il reçut la visite de nombreux savants qui désiraient s’entretenir avec lui. De là, Mélanchthon se rendit le 14 octobre à Nurtingue, puis à Nüremberg où il retrouva de nombreux amis tels qu’Osiander.

     1537 A cette époque, le pape Paul III, successeur de Clément VII, décide de convoquer un concile à Mantoue. Luther est chargé de rédiger quelques articles exposant la doctrine de l’église évangélique sur les points non négociables. Ce travail fut appelé «Les Articles de Smalkalde» qui ont été reçus comme les livres symboliques de l’église luthérienne. Ils furent approuvés par l’ensemble des théologiens, dont Mélanchthon. Il y ajouta un commentaire dans lequel il reconnaissait au pape un droit humain de supériorité sur les évêques pour autant qu’il les laisse libres de professer l’Evangile. De leur côté, Luther et l’électeur de Saxe refusèrent d’accorder cette primauté au pape. Luther et Mélanchthon se rendirent à Smalkalde afin d’y faire approuver leur articles par les théologiens réformés. Malgré un retard causé par une maladie de Luther, tous ratifièrent ce qu’on appellera: «Les Articles de Smalkalde».
Nouvelles luttes intestines

     Une controverse doctrinale sur le un sujet partiellement débattu à Smalkalde, celui de la nécessité des bonnes œuvres pour l’obtention du salut. Mélanchthon proposa une conférence sur ce sujet, mais son principal adversaire, Cordatus refusa de se rendre à cette concorde, il accusait Mélanchthon d’avoir remanié la Confession d’Augsbourg à sa seule initiative. Mélanchthon menaça de quitter Wittemberg au cas où les thèses de Cordatus y trouveraient un écho favorable. Mélanchthon fut finalement désavoué sur cette question pour une question de formulation. En effet quand Mélanchthon parle plus de sanctification que d’œuvres surérogatoires. Il fut encore désavoué sur la question de la cène. On l’accusa sans qu’il puisse se défendre de vouloir la prendre sous une seule espèce afin de ne pas irriter les catholiques.

     En 1538 Mélanchthon fut nommé recteur de l’université de Wittemberg. En cette qualité il eut encore à lutter âprement pour défendre les positions qui étaient les siennes.

     1539 Catholiques et protestants se réunirent à Francfort-sur-le-Mein, pour tenter de relever les défectuosités dans le document de La Paix de religion de Nüremberg . Cette conciliation échoua car les catholiques n’acceptèrent pas ces conditions ce qui affecta profondément Mélanchthon qui voyait s’évanouir les espoirs de paix qu’il nourrissait. On signa néanmoins une trêve de 15 mois et on fixa au 15 août une autre conférence dans la ville de Nüremberg.

     La réforme gagnait du terrain. Mélanchton visita les églises de la Thuringe. Il y entreprit une œuvre de réformation et de restructuration. Il se rendit à Berlin afin de donner son préavis sur la manière d’introduire la réformation dans ces états non encore acquis à la réforme.

     La peste qui sévissait alors à Wittemberg emporta sa sœur et son beau-frère. Mélanchthon, bien que lui-même dans un grand état de faiblesses recueillit leurs enfants dans sa maison. Il fut si sûr de mourir qu’il rédigea son testament, mais sa santé se rétablit peu à peu et il put reprendre ses activités.
Divorce de Philippe de Hesse

     Philippe de Hesse, désirant divorcer, mandata Martin Bucer pour la rédaction d’un mémoire justifiant son acte. Ce document fut soumis à Luther et Mélanchthon, ceux-ci, bien qu’embarrassés approuvèrent et rédigèrent ce qu’on a appelé le Conseil secret d’approbation. Ce compromis coûtera cher à l’avancée de la réforme. Charles-Quint a maintenant un moyen de pression sur l’électeur de Saxe auquel il somme sous peine de mort, de ne plus avoir de collusion avec la Ligue de Smalkalde. Ceci donnera l’occasion à l’empereur de reprendre le contrôle de certains Etats évangéliques.
Diète de Spire

     En préparation de la diète de Spire, Mélanchthon est chargé de la rédaction d’un document doctrinal sur les concessions susceptibles d’être faites aux catholiques. Celui-ci fut envoyé à l’empereur à qui les réformateurs demandaient de ne pas entrer en guerre. Charles-Quint leur assura de sa volonté pacifique, et de son désir d’unification des églises. Cette diète eut finalement lieu à Haguenau en Alsace. Avant de s’y rendre Mélanchthon était tellement fatigué qu’il trouva bon de rédiger à nouveau son testament.

     En chemin, il apprit alors la volonté de Philippe de Hesse de vouloir rendre public le Conseil secret. Cette nouvelle l’angoissa tellement qu’elle exacerba la dégradation de son état physique. Luther alarmé se rendit au chevet de son ami déjà inconscient et se mit à prier avec ferveur pour son rétablissement. Convaincu que Dieu répondrait favorablement il prit la main de Mélanchthon et lui dit: «Prends courage Philippe tu ne mourras pas.» Mélanchthon se remit peu à peu et dira plus tard en guise de témoignage: «Si Luhter n’était pas venu, je serai mort.»
1540-1541- Worms et Ratisbonne

     L’assemblée de Hagenau à laquelle devait se rendre Mélanchthon n’eut aucun résultat. Une nouvelle diète fut agendée à Worms. Mélanchton eu à nouveau comme principal opposant le Dr Eck, que le réformateur qualifiait d’hypocrite et de haineux. On discuta sur certains points de la Confession d’Augsbourg et de l’Apologie d’Augsbourg, mais une nouvelle fois, cette conférence n’aboutit à rien et l’on décida de reporter les débats à une autre diète devant avoir lieu à Ratisbonne.

     Pour des raisons de santé Luther demanda à l’électeur de Saxe que Mélanchthon n’y assista pas. Cette demande lui fut refusée, l’électeur arguant que la douceur et la supériorité du savant étaient indispensables pour la soutenance d’un tel débat.

     Le colloque de Ratisbonne débuta le 5 avril en présence de l’empereur. Celui-ci remit à la commission comme base de travail un document anonyme composé de 23 articles de foi qu’on appela Le livre de Ratisbonne ou encore «L’Intérim de Ratisbonne.»[26]

     Après examen les protestants rendirent leurs conclusions sur 9 articles qu’ils ne pouvaient admettre[27]. Luther ira jusqu’à dire «Il est impossible de réconcilier Christ avec le serpent»

     Ces débats furent ajournés et il fut décidé d’observer la Paix de religion de Nuremberg jusqu’à une nouvelle convocation. Dans l’intervalle, la réformation faisant beaucoup de progrès, Mélanchthon s’attellera à la rédaction d’un programme de réformes destiné aux églises et écoles des évêchés nouvellement acquis à la foi protestante. Une divergence doctrinale vint refroidir les relations entre Luther et Mélanchthon. Celui-ci avait en effet arbitrairement apporté une redéfinition personnelle sur le point de la Cène. Cette initiative irrita Luther, déjà en conflit avec Zwingli sur ce même sujet. Malgré ce désaccord leur relation amicale de rétablit progressivement, mais ces souffrances morales, en homme de paix qu’était Mélanchthon, affectèrent à nouveau la santé du réformateur qui tomba à nouveau malade.
1544-1545: Nouvelle diète de Worms

     Profitant de la menace militaire turque, les protestants demandèrent à l’empereur une paix permanente. Pris à la gorge, celui-ci n’eut d’autre choix dans un premier temps que d’accepter cette demande. Peu après néanmoins, ayant conclu la paix avec François 1er, il eut de ce fait les coudées plus franches pour exercer ces vindicatifs projets à l’encontre des protestants.

     Une diète fut à nouveau convoquée à Worms en mars 1545. Les dispositions de l’empereur devenues clairement hostiles aux protestants, celui-ci leur intima l’ordre de se rendre au concile de Trente convoqué par le pape Paul III, ce que refusèrent les Etats réformés. Suite à cette décision, sentant le danger imminent de la guerre, les princes évangéliques se réunirent pour réaffirmer l’alliance de Smalkalde. Afin de tenter de sauver la paix, il fut décidé d’une nouvelle rencontre à Ratisbonne. Mélanchthon fut chargé de rédiger un document de conciliation, mais pour des causes de santé ne put se rendre lui-même à cette conférence. Ce colloque qui débuta le 27 janvier, comme les autres n’abouti également à rien. L’électeur de Saxe qui supputait les intentions malsaines de Charles-Quint fit revenir ses envoyés dans les plus brefs délais.
1546: Mort de Luther

      Cette année là fut une année particulièrement éprouvante pour Mélanchthon. En effet outre la mort de Luther survenue le 19 février, il eut encore à souffrir la perte de deux de ses plus intimes amis, Spalatin et Myconius. A cause de ces événements tragiques Mélanchthon se retrouva bien malgré lui à la tête du mouvement réformé allemand.
1546-1547: Guerre de Smalkalde et défaite des protestants

     Le 25 juin, l’empereur et le pape conclurent une alliance dont le but avoué était l’éradication de l’hérésie protestante. En réponse à cette menace, Mélanchthon fit publier un texte de Luther intitulé: «Avertissement à mes chers compatriotes allemands» Celui-ci légitimant la résistance armée. En réponse, le 20 juillet, l’empereur mit officiellement au ban de l’empire les deux chefs de la ligue de Smalkalde: L’électeur de Saxe et le landgrave de Hesse. Charles-Quint lança une offensive éclair, pénétra dans la Souabe et dissolu l’université de Wittemberg. Mélanchthon dut s’enfuir et trouva refuge avec sa famille à Zerbst dans le duché d’Anhalt. Il eut encore la douleur de perdre sa fille Anna le 26 février 1547.

     L’empereur envahit encore les états de Jean-Frédéric et le condamna à la prison à perpétuité. Cette nouvelle ébranla fortement Mélanchthon qui quitta alors Zerbst pour Magbourg ou se trouvait la veuve de Luther sur le point de se rendre au Danemark. Il l’accompagna jusqu’à Brunswick puis se rendit à Nordhausen où demeurait son ami, le bourgmestre Meienbourg.
Retour à Wittemberg

     Le nouvel électeur Maurice décida à rétablir l’université de Wittemberg, invita les anciens professeurs à réintégrer leurs fonctions. A son invitation Mélanchthon se rendit à Anhalt pour s’entretenir avec les théologiens de Wittemberg, tous furent d’accord d’accepter cette proposition. Cette décision valut à Mélanchthon de nombreux reproches, car Maurice, d’obédience protestante avait trahi la ligue de Smalkalde en rejoignant les rangs catholiques durant la guerre de Smalkalde.
Intérim d’Augsbourg

     Charles-Quint ayant compris l’impossibilité d’une réforme de type papale en Allemagne, décida de l’entreprendre lui-même. Dans cette perspective il convoqua une nouvelle diète à Augsbourg. En préavis fut édité un document du type de celui de Ratisbonne, qu’on appela «l’Intérim d’Augsbourg.»

     L’électeur Maurice demanda à Mélanchthon de donner son opinion sur ce document. Celui-ci la rejeta sévèrement en qualifiant cette formule de dangereuse à plus d’un titre. L’empereur irrité de cette fermeté, exigea qu’on lui livra Mélanchthon. Celui-ci dut s’enfuir à nouveau et trouva refuge dans un monastère. En mai 1548 on lut néanmoins l’Intérim à Augsbourg. Certains acceptèrent de le signer et d’autre s’y refusèrent obstinément malgré toutes les contraintes exercées par l’empereur
Intérim de Leipzig

     Avant de quitter Augsbourg, l’électeur Maurice remit une protestation selon laquelle il n’imposerait pas cet Intérim à ses sujets. Dès son retour, il demanda à Mélanchthon de rédiger un nouveau préavis sur l’Intérim. Celui-ci, suivi par de nombreux théologiens réaffirma sa position initiale.
Diète de Torgau

     Le 18 octobre, on convoqua une nouvelle diète sur la question de l'Intérim, mais là encore on ne put parvenir à un accord. On rédigea alors avec l’aide Mélanchthon un autre document appelé l’Intérim de Leipzig, qui fut accepté. Rentré à Wittemberg le 6 janvier, Mélanchthon eut à subir de violentes attaques de la part de Luthériens fondamentalistes qui voyaient dans cet Intérim une trahison de la pensée du grand réformateur. Il eut pour se défendre à soutenir de nombreuses et pénibles luttes qui allaient à l’encontre de son caractère pacifique et conciliateur.
Luttes contre Flacius[28]

     Son détracteur le plus farouche fut Matthias Flacius qui fut un ami de Luther. Celui-ci se mit à écrire des articles violents et surtout calomniateurs à l’encontre de Mélanchthon. Dans un premier temps, le réformateur, pensant que les choses se calmeraient d’elles-mêmes ne jugea pas utile de répondre a ces provocations. Mais quand il se rendit compte que ces événements prenaient une tournure inquiétante, il commença alors à rétorquer épistolairement. Cela ne calma pas pour autant Flacius qui persévéra par ses virulentes diatribes. Celui-ci amorcera plusieurs tentatives de réconciliation qui seront toutes refusées par Mélanchthon. Malgré une tentative d’arbitrage qui eu lieu le 17 janvier 1557 à Magdebourg, aucun rapprochement ne fut plus possible entre les deux hommes.
Contre Osiander[29]

     Celui-ci souleva une autre controverse contre Mélanchthon au sujet de la justification. Pensant qu’il s’agissait uniquement d’une dispute de mots, Mélanchthon écrivit en 1551 à Osiander une lettre amicale dans laquelle était exposés quelques réflexions doctrinales sur le sujet. Les idées d’Osiander se répandant rapidement, Mélanchthon publia alors en 1552, un écrit[30] destiné à les combattre, ce qui exacerba encore la colère d’Osiander. Celui-ci répondit à son tour par deux écrits forts virulents.[31] Cette querelle ne prit fin qu’à la suite de la mort inattendue d’Osiander le 17 octobre 1552.

 Diète de Worms de 1557

     Pour tenter de rapprocher les antagonistes, on convoqua une nouvelle diète à Worms le 11 septembre. Profitant d’un ajournement de quelques jours, Mélanchthon se rendit à Heidelberg où il apprit la mort de son épouse, décédée le 11 octobre dans la paix de Dieu.

     Quand il apprit cette nouvelle il éprouva un violent chagrin, leva les yeux au ciel et dit: «Au revoir, je te suivrai bientôt». Bien que bouleversé, Mélanchthon revint à Worms pour y composer une nouvelle formule susceptible d’unir les protestants. Finalement une fois de plus, ce colloque n’aboutit à rien.
Mort de Mélanchthon

     Fatigué de toutes ces luttes incessantes, Mélanchthon soupirait à l’idée d’être repris par le Seigneur. Il souffrait de plus en plus dans son corps et perdait sensiblement l’usage de ces yeux. La pensée de la mort se présentait souvent dans l’esprit de Mélanchthon mais ne l’effrayait pas. Sa seule demande à Dieu était de pouvoir partir en paix.

     Dans les derniers moments de sa vie, son état déclina graduellement. Le dernier jour, il eut une forte fièvre qui l’affaiblit encore, les médecins chargés de l’ausculter rendirent un diagnostic très pessimiste. Se sachant proche du grand départ, il fit venir auprès de lui ses petits-enfants qu’il aimait tendrement et s’entretint avec eux. Il prit soin ensuite de nommer son successeur en la personne de Paul Eberus.

     Ses derniers moments, il les passa en prières, mettant sa foi en Dieu, puis ses forces l’abandonnèrent, il s’endormit en paix à 7 heures du soir, il avait 63 ans et 63 jours. Il fut inhumé le 21 avril 1560 dans l’église du château de Wittemberg aux côtés de son vieil ami Luther.



[1] Territoire soumis à la juridiction d'un Électeur. Prince ou évêque qui participait à l'élection de l'empereur dans le Saint Empire romain germanique. L'Électeur de Saxe.

[2] Né le 22 février 1455 à Pforzheim; † le 30 juin 1522 à Stuttgart.

[3] Weinsberg 1482 - Bâle 1531

[4] Disputatio de Leipzig

[5] Archidiacre de Wittemberg , 1480-1541

[6] 1486-1543

[7] Loci communes rerum theologicarum seu hypotyposes theologicae

[8] Apologie de Luther contre le jugement furibond des théologiens de Paris.

[9] Suppression des messes privées et distribution de la cène sous les deux espèces.

[10] Monastères de Misnie et de Thuringe.

[11] Les vœux ecclésiastiques et monastiques.

[12] Abrégé de la doctrine chrétienne renouvelée, au sérénissime prince le Landgrave de Hesse.

[13] Palatinat.

[14] Ecrit contre les articles des paysans.

[15] Instruction des visiteurs aux pasteurs de l’électorat de Saxe

[16] Fondateur de la secte des Antinomiens qui prétendaient que la foi est inutile pour être sauvé.

[17] Pro testare: Pour le témoignage.

[18] Jonas, Osiander, Brenz, Agricola

[19] Rotach; Schwabach; Smalkalde; Nüremberg.

[20] Bien que la Confession d’Augsbourg intègre 17 articles de Lüther (Articles de Torgau, Marbourg), elle demeure surtout l’œuvre de Mélanchthon

[21] Cette Confession est encore en vigueur aujourd’hui dans les Eglises Luthériennes.

[22] Représentant du pape à la Diète d’Augsbourg

[23] Cette Apologie sera admise au nombre des écrits confessionnels de l’église luthérienne

[24] Successeur de son père Jean le Constant décédé le 15 mars 1532

[25] Corédacteur de la Confession d’Augsbourg

[26] On ne connaît pas certainement l’auteur de ce livre. On a avancé des noms tels que: Wizel, Groper, Volcruck

[27] Cène; Confession auriculaire; satisfaction; Unité de l’Eglise et ordination; saints; messe; messes privées, célibat des ecclésiastiques.

[28] 3 mars 1520-11 mars 1575

[29] Andreas Osiander, né le 19 décembre 1498 à Gunzenhausen, Bavière - mort en 1552 à Königsberg, Prusse, théologien réformateur allemand.

[30] Réponse au livre de Monsieur Osiander, sur la justification de l’homme

[31] Une saignée à Monsieur Philippe et Réfutation de la futile réponse de Monsieur Philippe Mélanchthon

Jean Calvin (1509-1564)

Jean Calvin (1509-1564)

     [Jean Calvin] Si l’on connaît la ville de Genève sous le nom de «la cité de Calvin», c’est pourtant en Picardie que Jean Cauvin, qui allait devenir le grand réformateur que l’on sait sous le nom de Jean Calvin, a vu le jour dans une famille aisée, le 10 juillet 1509.

     Il fait des études soignées et, à Paris, s’intéresse à la philosophie. Il vient prêcher à Noyon, sa ville natale, mais son père le pousse à étudier plutôt le droit. Son savoir fait l’admiration des autres étudiants et des professeurs.

     Après la mort de son père, excommunié, en 1531, Calvin repart pour Paris et écrit son Commentaire sur le livre de Sénèque touchant la vertu de la clémence. C’est alors qu’il prend la résolution de se consacrer entièrement à Dieu. Au collège Montaigu, il se lie d’amitié avec plusieurs adeptes des idées de la Réforme. Mais on ne sait quand, exactement, il est touché par la vérité de l’Evangile et du salut par grâce, et rejette l’enseignement de l’église romaine. A la suite d’une émeute provoquée par un sermon de son ami Nicolas Cop, qui doit s’enfuir à Bâle, Calvin est menacé et se réfugie à Saintonge, chez un jeune homme riche. Ce dernier lui demande de rédiger quelques sermons, lus par certains des curés de l’endroit, afi n de donner au peuple le goût de la vraie et pure connaissance de son salut par Jésus-Christ.

     Recherché par les autorités, Calvin décide de quitter la France en compagnie de son ami de Saintonge. En chemin, un de leurs deux serviteurs leur dérobe tout leur argent et un cheval. C’est donc totalement démunis qu’ils arrivent à Bâle. Il écrit son Institution de la religion chrétienne, qui va devenir la somme de la foi réformée, à l’intention de François 1er qui, toutefois, n’en aura pas connaissance. De Bâle, Calvin se rend en Italie, revient à Bâle, puis part pour Paris afi n de mettre de l’ordre dans ses affaires. Il veut d’abord rallier Strasbourg et doit emprunter pour cela des chemins détournés qui le mènent à… Genève.

     [Jean Calvin] Cette ville a depuis peu accepté la cause de l’Evangile, grâce à deux serviteurs de Dieu, Guillaume Farel et Pierre Viret. Pressé par eux, Calvin accepte, après bien des hésitations, de rester à Genève pour y enseigner la théologie. Il est combattu entre autres par les anabaptistes et calomnié par un apostat, le professeur parisien Pierre Caroli, mais toutes les attaques ne font que renforcer sa foi.

     Un an plus tard, plusieurs séditions surviennent à Genève. La majorité du Conseil n’est plus du côté de la justice et il ordonne aux ministres de l’Evangile de quitter la ville dans les trois jours en raison de leur refus d’administrer la Cène à certains. Il est vrai que Calvin s’oppose à ce que l’on reçoive à la Table du Seigneur ceux dont on ne sait pas s’ils ont renoncé à l’idolâtrie et aux «superstitions papistes». Peu après Pâques 1538, Calvin est accueilli à Strasbourg, où il fonde une église dans laquelle il établit la discipline ecclésiastique. Il y enseigne aussi la théologie. L’année suivante, il complète son ouvrage «Institution chrétienne», écrit son «Commentaire sur l’épître aux Romains» et le fascicule «La Cène du Seigneur».

     Le 13 septembre 1541, c’est le retour défi - nitif à Genève. Ses ennemis ont disparu, la ville l’a rappelé et Strasbourg a accepté, à regret, de le laisser partir.

     Quant il remonte en chaire à la cathédrale Saint-Pierre, devant une foule immense, il ne blâme personne et continue l’explication de la Bible là où il l’avait laissée. S’appesantir sur le passé est, pour lui, une faute, il faut aller de l’avant, prêcher, fonder la communauté sur la Parole de Dieu. Viret le seconde durant deux ans, et Farel lui est accordé par Neuchâtel pour quatre semaines. Les trois amis forment le fameux «Trépied» que nous avons déjà évoqué dans l’article précédent.

     Une société nouvelle se dessine, dont la base doit être la famille selon la Parole. Calvin, que l’on présente aujourd’hui comme austère et tyrannique, était pourtant d’un caractère jovial et doux. Il est le premier à présenter la sexualité sous son jour le plus vrai. Dans son «Commentaire sur le Pentateuque», il écrit que Dieu a créé l’homme mâle et femelle, ce qui fonde, à ses yeux, l’égalité entre eux. Le mariage est un remède nécessaire qui restitue au sexe sa pureté d’origine. Ses convictions sur les droits de la femme sont révolutionnaires. Il révolutionne aussi l’éducation. Chaque enfant a droit à l’accès à la culture. Dans le collège installé dans le couvent désaffecté de Rive, on enseigne le latin, le grec, le français et un peu d’hébreu, mais aussi les belles-lettres, la musique. Ce système pédagogique est le plus progressiste de son temps. Le collège est transféré à Saint-Antoine et un recteur hors pair est trouvé en la personne de Théodore de Bèze. Le rayonnement de l’établissement est grand, on s’en inspire à Nîmes, Heidelberg, Bâle, les professeurs sont parmi les plus prestigieux du moment, et les élèves y viennent de partout. Ils seront environ 2000 en 1566. Ainsi Genève formet- elle ses pasteurs, ses magistrats, ses citoyens.

     Calvin applique également les préceptes bibliques dans le domaine social en fondant notamment l’Hôpital général, où chacun peut être soigné. Il est le grand maître de la charité vivante et éclairée. Il fait aussi de nombreux efforts afi n de ménager des rapports justes et harmonieux entre le politique et le spirituel, mais c’est là, souvent, sujets de tensions.

     Durant son ministère, Calvin échappe à un complot ourdit par certains hommes d’affaires qui mènent une vie débauchée et n’acceptent pas que, pour cette raison, on leur refuse de participer à la Cène. Il doit encore lutter contre des contradicteurs pernicieux, dont Michel Servet, Jérôme Bolsec, François Baldouin entre autres.

     Epuisé par le travail et gravement atteint dans sa santé, il est contraint de garder le lit, mais continue à parachever les textes qu’il a écrits et à s’occuper de l’Eglise.

Le 25 avril 1564, il rédige son testament, le lendemain il reçoit ses amis, assiste peu après à la nomination de son successeur, puis s’éteint le 24 mai.

     Son oeuvre littéraire est énorme et on lui connaît 4200 lettres. Il a contribué de manière importante au renom international de Genève et Théodore de Bèze note à son propos: «La plus grande lumière qui fut en ce monde pour la direction de l’Eglise de Dieu fut enlevée au Ciel.» Calvin ne verra pas tout le développement de la Réforme, dont les idées sont répandues à travers l’Europe par des marchands ambulants, mais il aura grandement contribué à leur diffusion.

Auteur: René Neuenschwander
Paru dans Bible-Info , automne 2006

Théodore de Bèze (1519-1605)

Théodore de Bèze (1519-1605)

     [Théodore de Bèze] La notoriété de Théodore de Bèze est certainement au-dessous du rôle qu’il a joué dans le mouvement de la Réforme. Il fut un ambassadeur hors pair de la théologie réformée, chef incontesté et symbole de la réforme huguenote, ami et digne successeur de Calvin, reçu et influent dans les cours de France, de Navarre et d’Europe. Mais on le voit aussi poète, écrivain, polémiste et pamphlétaire virulent envers ses contradicteurs.

     Il naît dans une riche et noble famille de Vézelay. Enfant maladif et chétif, très jeune il perd sa mère, et son père l’envoie chez un oncle à Paris, qui le fait soigner et s’en occupe avec tendresse. Il lui trouve un précepteur, mais bientôt l’élève, qui a l’esprit vif et une grande intelligence, en sait autant que le maître. A 9 ans, Théodore est confié à un certain Melchior Wolmar, à Orléans. Bèze écrira plus tard que la rencontre avec cet homme fut comme «le jour de sa seconde naissance».

     Wolmar, qui est une figure des plus intéressantes de la pré-réforme, a une influence morale et religieuse capitale sur le garçon qui, en 1530, suit son maître à Bourges, où les réformés sont bienvenus, et y rencontre furtivement Calvin, de dix ans son aîné. Cinq ans plus tard, Wolmar part pour l’Allemagne afin d’échapper aux persécutions et le père de Théodore exige que son fils poursuive ses études de droit à Orléans. L’adolescent abandonne peu à peu la littérature que lui a remise son maître. Une parenthèse de treize ans s’ouvre alors dans la vie du jeune homme. Elle ne se fermera que lors de son arrivée à Genève, en 1548.

     Le droit le rebute, pourtant il gravit les échelons de la carrière académique et devient procureur de la nation bourguignonne, il est licencié en droit à 23 ans. Mais ses passions sont la poésie et les plaisirs. Il peut s’y adonner à Paris grâce à ses confortables revenus. Il compose et publie des épigrammes, des élégies, des épitaphes et un recueil de poèmes, dont les trop fameux Juvenilia, qualifiés de poèmes des péchés de jeunesse.

     Dieu vient alors le chercher par le moyen d’une grave maladie dont il le console ensuite. Il écrit: «Je renouvelai ma promesse de Le servir dans sa vraie Eglise.» Il rompt avec ses parents, ses amis, et, avec Claudine Denosse, qui deviendra sa femme, il s’exile à Genève. Il a été condamné au bûcher, ses biens ont été confisqués, il doit travailler et propose ses services à Calvin qui hésite à les accepter. Il veut alors aller retrouver Wolmar à Tübingen et s’arrête à Lausanne où il rencontre Viret. Ce dernier le recommande à Calvin, mais cette fois, c’est Bèze qui pense ne pas être à la hauteur de la tâche! Il est nommé professeur de grec à l’Académie de Lausanne, avec l’accord de Berne, et est félicité par Farel.

     En 1557, il part en mission à Berne, Zurich et Bâle, puis en Allemagne, afin de convaincre ces Etats d’intervenir auprès de Henri II en faveur des Vaudois du Piémont, puis des réformés emprisonnés à Paris. Ses qualités de diplomate font merveille. Par contre, il échouera plus tard dans sa mission de réconcilier luthériens et calvinistes qui ont un grave différend concernant la cène et la prédestination. A cette occasion, il se fâche avec Bullinger, qui lui reproche une initiative qu’il a prise seul, à propos d’un projet de confession de foi. Les deux hommes se réconcilieront plus tard.

     Sous la pression de ces Messieurs de Berne, Bèze démissionne de son poste à Lausanne en 1558. Il part pour Genève, où son ascension dans la hiérarchie protestante est fulgurante, avec à son apogée sa nomination en tant que recteur de la nouvelle académie fondée par Calvin.

     En France, après la mort d’Henri II, les Guise ordonnent des persécutions contre les protestants. Bèze est envoyé en mission de médiation entre catholiques et huguenots à Poissy, à Dreux, à Saint- Germain, où il obtiendra de Catherine de Médicis la liberté de conscience et de culte pour ses sujets. Partout, ses prêches soulèvent l’enthousiasme, tout comme ses écrits, vendus librement dans les rues. La reine, Jeanne d’Albret, Coligny, Condé demandent à Genève de presser Bèze de rester en France, malgré son désir de retourner auprès de Calvin. Il finit par accepter, mais bientôt, Catherine, versatile, opportuniste et jouant double jeu, met en péril tout le travail de Bèze en exigeant des protestants qu’ils rendent toutes les églises qu’ils se sont appropriés.

     Fin décembre 1561, des troubles sont provoqués par les catholiques, alors que Bèze et Jean Malet prêchent aux portes de Paris. La guerre civile menace, et la reine demande l’aide armée des protestants. Plus de 2000 communautés répondent favorablement. La famille royale est acquise par Bèze à la Réforme – et pourtant Charles IX laissera faire la Saint-Barthélemy – et l’Edit de Janvier est signé, qui accorde aux protestants la liberté de culte, hors des murs des villes toutefois. C’est un triomphe pour Bèze, mais de courte durée, car, le 28 février 1562, le duc de Guise fait massacrer 80 protestants à Wassy. Malgré les pressantes interventions du réformateur auprès de la reine et de Charles IX, malgré l’acceptation de compromis, la guerre civile est commencée. Succession de victoires et de défaites des deux camps, elle ensanglantera le pays durant 30 ans. S’estimant inutile en France, Bèze rentre à Genève le 15 mai 1563.

     A la mort de Calvin, il est élu Modérateur de l’église de Genève par la Compagnie des pasteurs, mais, à sa demande, pour un an, une nouvelle élection devant avoir lieu ensuite chaque année. Il veut ainsi qu’un seul homme ne puisse pas prendre une trop grande importance et aussi responsabiliser les pasteurs. Il occupera cette fonction jusqu’en 1580, mais restera l’inspirateur et le guide de la communauté jusqu’à sa mort.

     Durant les quarante-deux dernières années de sa vie, il participe au rayonnement de la Genève protestante à travers toute l’Europe, il fait montre de ses qualités de médiateur dans plusieurs affaires, il est appelé en France où ont eu lieu les massacres de la Saint-Barthélemy, on le sollicite partout où surgissent de graves litiges. Le 13 octobre 1605, Bèze s’en va paisiblement retrouver son Sauveur.

     Il reste de lui ses écrits fort nombreux, qui n’ont toutefois pas la qualité de ceux de Calvin, des brochures et des livres qui répondent à des contradicteurs, une multitude de lettres dont des centaines adressées à Bullinger, une pièce de théâtre, Le sacrifice d’Abraham, une traduction poétique des psaumes et le souvenir d’un serviteur de Dieu humble et intelligent, dont un gros livre suffit à peine à relater les multiples activités.

Auteur: René Neuenschwander
Paru dans Bible-Info , hiver 2006

John Knox (1514-1572)

John Knox (1514-1572)

     [John Knox] Ce réformateur écossais est peu connu dans les régions francophones. Par contre, dans les pays anglo-saxons, des communautés très vivantes, aux Etats-Unis notamment, se déclarent être issues du mouvement suscité par John Knox.

     Au XVIe siècle, l’Ecosse est un pays sauvage, peu peuplé, les villes y sont petites, campagnardes, le pays est peu sûr, les maisons de pierre sont rares, les marécages se développent et les forêts dépérissent. Mais l’église des grandes abbayes et des somptueuses cathédrales est riche. Elle possède la moitié des terres. Il existe trois universités dans ce petit pays, mais les curés de campagne n’en profi tent guère. Beaucoup de prêtres sont indignes, insouciants et débauchés, au milieu d’une population pauvre.

     Si le père de John Knox n’est pas riche, il est suffi samment aisé pour envoyer son fi ls étudier à l’école réputée de Saint Andrews. Il n’en reçoit pas les grades mais, davantage ami des lollards que d’une hiérarchie engoncée dans les honneurs, il est tout de même ordonné prêtre à 25 ans.

     Les colporteurs de la Bible, envoyés par Wycliff, parcourent les campagnes, et les idées de Luther circulent, mais ceux qui prêchent la Réforme sont arrêtés, condamnés au bûcher. Or, dans l’obscurité ambiante, la lecture de la Bible est autorisée. John Knox la découvre et est émerveillé de rencontrer dans le texte inspiré une autorité sans faille.

     A la mort du roi Jacques V, époux de la très catholique Marie de Lorraine, en 1542, c’est Jacques Hamilton, duc d’Arran, qui est nommé régent. Un parti anglo-protestant se forme, la Réforme est accueillie. Pour Knox, c’est l’instant de vérité, de décision, de conversion. Il est subjugué par la personnalité de l’helléniste George Wishart, avec qui il prêche avec force et conviction. Pourtant l’embellie ne dure pas. L’Ecosse est divisée entre les partisans de l’Angleterre et ceux de la France. On assiste au revirement du duc d’Arran, Wishart meurt sur le bûcher, et les réformés sont terriblement persécutés. Beaucoup se réfugient au château de Saint Andrews, à Edimbourg, mais les troupes françaises qui ont débarqué en Ecosse les assiègent et s’emparent de la place. La garnison est emmenée en France, Knox fait partie des déportés. Dans la galère où il est enchaîné, il vit une épreuve terrifi ante, mais sa foi n’est pas ébranlée, au contraire elle est affermie. Pourtant, durant un an et demi, ses codétenus et lui sont l’objet de menaces, de violences et de fl atteries de la part de ceux qui veulent les contraindre à apostasier. Mais tous ces efforts restent vains et aucun ne renie sa foi.

     Libéré en février 1549, Knox se rend en Angleterre où il est bien accueilli par le jeune roi Edouard VI. Celui-ci fait de lui son chapelain et lui propose même le titre d’évêque, qu’il refuse catégoriquement. Le culte anglican lui rappelle trop les cérémonies papales. En 1552, il épouse Marjory Bowes. Le roi meurt prématurément, ce qui force à nouveau les réformés à l’exil. Knox retourne en France, traverse le pays et se rend en Suisse, avec sa femme, sa belle-mère et un domestique. Il rencontre Bullinger, puis s’arrête à Genève pour rencontrer Calvin, avec lequel il se découvre beaucoup de points communs. Il prêche trois fois par semaine dans la communauté des Anglais, qui compte 212 membres. Il étudie l’hébreu et le grec, publie des pamphlets, dont le plus célèbre: «Le premier coup de trompette contre le gouvernement monstrueux des femmes», est désavoué par Calvin et lui cause quelque tort. Puis, tout à coup, comme s’il ressentait en lui l’appel de sa terre natale, en janvier 1559, il part pour l’Ecosse, qui semble l’attendre, car l’heure de la Réforme y a sonné.

     Il introduit dans son pays la plupart des points de vue de Calvin et prêche sans relâche. L’effectif des partisans de la Réforme a augmenté, mais peu de convertis osent affi cher ouvertement le changement opéré dans leur coeur, tellement les conséquences seraient terribles pour eux. Car la très catholique Marie Stuart est arrivée au pouvoir. La plupart continuent à suivre le culte romain tout en le condamnant. Knox parvient à les convaincre de quitter l’Eglise de Rome. Cela lui vaut les foudres du clergé, devant lequel il est cité à comparaître. Le soutien des puissantes personnalités du pays lui évite une condamnation. La reine, devenue veuve très jeune, le convoque et l’accable de reproches, l’accusant de détourner ses sujets d’elle, d’avoir publié un livre contre le droit des femmes à la couronne, fomenté la révolte et entraîné les Ecossais à pratiquer un autre culte que celui de leurs pères. Knox ne se laisse pas emporter, il démontre à la souveraine que ses prédications ne sont pas aussi violentes qu’on le lui a rapporté. Il l’invite même à s’en rendre compte par elle-même en lui proposant d’assister à un de ses sermons publics. Elle cherche à le mettre dans son camp et lui demande de modérer les protestants. Il refuse.

     Pour la reine, la religion c’est le rite habituel, pour Knox, qui ne sépare jamais la doctrine et la morale, c’est la vie tout entière. Après une entrevue dramatique avec lui, Marie Stuart dira à l’ambassadeur de sa cousine Elizabeth d’Angleterre que l’Ecosse est trop petite pour les contenir tous les deux, le réformateur et elle. Elle le fait comparaître pour trahison devant le Conseil privé, car il a convoqué l’Eglise à une manifestation à la suite de l’arrestation de deux protestants. Knox retourne les juges et triomphe.

     La fin de sa vie est marquée par une tendance à la retraite et une aspiration à quitter cette terre. Il désire séparer son histoire personnelle de celle de son pays. Les mariages successifs de Marie Stuart, les assassinats, les défaites et l’exil de la reine, tous les grands événements se font sans lui. Il se confi ne dans sa paroisse de Saint Giles d’Edimbourg. Pourtant, il reste étonnamment dans la vie, même quand il écrit: «Seigneur Jésus, reçois mon esprit et mets fi n, selon ton bon plaisir, à cette malheureuse existence que voici, car justice et vérité ne sont pas au milieu des fi ls des hommes.» Les derniers mois de sa vie, il ne sort que pour prêcher, on l’aide à monter en chaire. Il a encore la force de s’élever avec vigueur contre la Saint-Barthélemy, devant l’ambassadeur de France. Chaque jour, on lui lit la Parole qu’il a fi dèlement prêchée, et il s’éteint au moment même où on lui rappelle les promesses du Christ vainqueur, le 24 novembre 1572.

     Le surlendemain de ses obsèques, le régent Morton prononce en une seule phrase son oraison funèbre: «Ci-gît un homme qui n’a jamais craint ni fl atté personne.» John Knox ne craignait en effet que Dieu et savait que le message, quand il s’agit de l’Ecriture sainte, importe plus que le messager. Il est considéré comme un des réformateurs les plus intrépides.

Auteur: René Neuenschwander
Paru dans Bible-Info , printemps 2007

Huldrych Zwingli (1484-1535)

Huldrych Zwingli (1484-1535)

Un grand réformateur méconnu en francophonie

     Demandez à un francophone qui sont les grands réformateurs de l’Eglise, il citera Calvin, Luther, éventuellement Bèze, mais peu penseront à Zwingli. Pourtant il fut l’une des plus grandes figures de la Réforme..



     C’est près de Saint-Gall qu’il voit le jour le 1er janvier 1484. Troisième enfant d’une famille terrienne qui en comptera onze, il fait rapidement de brillantes études à Bâle puis à Vienne.

     Sa vie fut un continuel cheminement vers la foi chrétienne. Nommé curé à Glaris, on le retrouve aumônier des troupes glaronaises qui combattent comme mercenaires lors des guerres d’Italie. Là, il dénonce la participation à ces guerres à l’étranger qui ramènent de l’or dans les campagnes au détriment des cultures qui sont délaissées par les paysans devenus soldats. Et combien d’hommes dans la force de l’âge n’en reviennent pas. Ces prises de position lui coûtent sa place.

     Il séjourne aussi à Einsiedeln où il rencontre principalement deux humanistes chrétiens, le Hollandais Erasme et surtout, en 1505, Thomas Wyttenbach. Les cours de ce dernier, notamment sur l’Epître aux Romains, orientent le jeune Zwingli sur une nouvelle voie et auront une influence décisive sur son ministère et son oeuvre. Il prend alors conscience que le prix du pardon des péchés est payé par la seule mort du Christ. C’est pour lui une véritable révélation. Il traduit la Bible en langue alémanique, une langue qui va droit au coeur des montagnards et campagnards de la région.

     A Einsiedeln également, il dénonce la grossière idolâtrie dont il est le témoin. Devant des milliers de pèlerins, il s’élève contre les abus et les scandales de l’église romaine et lance de vigoureux appels à la repentance et à la foi.

     Il est alors engagé à Zurich, ville de 7000 habitants. Encouragé par l’attitude de Luther, il s’attaque à l’édifice romain et ambitionne de réformer toute l’Eglise sur la base de l’Evangile. Sur ce sujet, il présente 67 thèses au cours de «disputes», débats organisés par les autorités politiques zurichoises. Son triomphe est complet.

     En 1518, alors qu’il se repose dans le vieux couvent de Pfäffers, il apprend que la peste, qui ravage le pays, a atteint la ville de Zurich. Sans tarder, il retourne auprès de ses paroissiens, dont le tiers, peutêtre la moitié, passent de vie à trépas. En septembre 1519, il doit s’aliter à son tour. La mort rôde dans sa chambre. Alors il prie. Deux de ses prières sont devenues célèbres. Le Seigneur intervient et Zwingli se rétablit. Il écrit alors un chant de louange. Cette épreuve a éclairé le prédicateur qui, presque chaque jour, monte en chaire pour expliquer le Nouveau Testament sur la base des textes originaux et non de la Vulgate, comme cela était de règle. De ses origines terriennes, il a gardé un langage simple et coloré qui touche ses auditeurs. Peu à peu les mentalités changent, l’Eglise et la société aussi. L’Evangile est lu, honoré et vécu. C’est la naissance d’une cité nouvelle, d’une ville réformée dans sa foi, dans ses institutions et dans ses moeurs.

     Le pape Adrien VI l’interdit de prêche et demande à Zurich de le condamner comme hérétique. Zwingli présente sa défense devant le conseil qui manifeste son accord avec lui et retire le canton de la juridiction de l’évêque de Constance.

     Persuadé par Zwingli, le Conseil d’Etat abolit la messe à Zurich le 11 avril 1525, et la remplace par une liturgie dans le langage du peuple. La Réforme gagne d’autres cantons qui forment ensemble le projet d’intégrer les cantons restés catholiques, Uri, Schwyz et Unterwald entre autres. Ces trois cantons se mettent en campagne en octobre 1535 et surprennent les Zurichois qui sont défaits à Kappel. Zwingli, aumônier des troupes, est blessé sur le champ de bataille et il est exécuté.

Jusqu’à sa mort il aura eu le souci du salut de chacun de ses compatriotes avec cette interrogation au coeur: «Que dois-je faire pour que mon peuple soit sauvé?» Il a aussi réclamé la libre proclamation de l’Evangile dans tout le pays: «Et le peuple jugera», affirmait-il.

     [Psalm Zwingli] Il avait compris que l’homme est faillible, pécheur, et que le salut peut être acquis uniquement par la reconnaissance que seul le sang du Christ mort à la Croix est purificateur: «Ce ne sont pas nos vertus qui nous sauvent, c’est la pure grâce de Dieu; ce ne sont pas nos mérites qui nous assurent la vie éternelle, c’est Sa miséricorde jour après jour renouvelée». Il faut imaginer le contexte de cette époque, dominée par la toute puissance d’un clergé catholique corrompu, pour comprendre le courage qui a été nécessaire aux réformateurs pour oser braver l’hégémonie des diffuseurs d’une doctrine perverse et proclamer leur foi dans le seul Evangile.

     Zwingli a fait briller la lumière évangélique peu après que la Réforme eut pris naissance en Allemagne. Par son courage et son ministère, il fut l’égal de Luther. En Suisse, son oeuvre fut poursuivie par le réformateur français Calvin.

     Terminons par quelques pensées de Zwingli qui devraient nous interpeller et nous encourager encore aujourd’hui:

     «Lorsque nous recevons une lettre d’un ami très cher, nous la portons toujours sur nous et nous la montrons à tout le monde. Pourquoi n’agirions- nous pas ainsi avec l’Ecriture sainte? Elle nous vient du Père céleste qui nous l’a envoyée du ciel par Son Fils».

     «Ainsi donc, vous, chrétiens pieux, retournez à la Parole – à la Parole. Elle rend sage pour accéder à la félicité et enseigne tout ce qui est bon.»

     «Si le pasteur n’a plus le droit de dire la vérité dans l’église, qu’on engage un ménestrel avec fifre et luth, car voilà ce que tout le monde aime et qui ne scandalise personne»

     «Etre chrétien, ce n’est pas papoter à propos du Christ, c’est vivre comme lui a vécu.»

     «Voici notre règle, à nous, chrétiens: il vaut mieux être mis à mort que de nous écarter de la vérité ou de la passer sous silence après l’avoir reconnue.»
Auteur: René Neuenschwander
Paru dans Bible-Info , été 2004

Heinrich Bullinger (1504-1575)


Heinrich Bullinger (1504-1575)

     [Heinrich Bullinger] A la mort de Zwingli à Kappel, les Zurichois étaient en plein désarroi. Le mouvement de la Réforme était en danger faute de leader. Pour lui succéder, le Conseil de la ville fit alors appel à un jeune pasteur de 27 ans, Heinrich Bullinger, récemment réfugié dans la cité.

     Bullinger, fils illégitime du curé de Bremgarten, était né dans cette bourgade le 18 juillet 1504. Il avait fait ses études à l’Université de Cologne où il avait rompu avec l’Eglise romaine, suite à une recherche personnelle au travers de sa lecture de l’Evangile et des oeuvres de Pères de l’Eglise et de réformateurs, Martin Luther entre autres.

     Il avait enseigné à Kappel am Albis de 1523 à 1529, où il avait rencontré Zwingli et était devenu l’un de ses fervents partisans. Ses convictions réformées s’étaient manifestées notamment par des cours d’exégèse, en particulier des épîtres de Paul, donnés en allemand et en public, ce qui était totalement innovateur. A Bremgarten, son père avait avoué publiquement ses erreurs, épousé les idées de la Réforme et… sa mère, et était devenu pasteur de cette localité. Curieusement, la population avait appelé Bullinger à lui succéder. Mais bientôt, sous la pression des cantons catholiques, le vent avait tourné et il avait été chassé en 1531, quelque temps après son mariage avec une ancienne religieuse, et s’était enfui à Zurich.

     Défenseur des intérêts de l’Eglise

     Dans cette ville, si Bullinger accepte sa nomination le 9 décembre 1531, il ne transige pas avec le pouvoir, exigeant la garantie d’une totale liberté de prédication. Sous sa direction, le raffermissement de l’Eglise zurichoise est rapide. Un an plus tard il lui offre une constitution réglant les rapports entre Eglise et autorités, le fonctionnement du Synode, etc. Il développe aussi un système d’enseignement et de bourses et fait connaître l’école de Zurich en engageant des théologiens de talent chassés de chez eux. En Suisse, il émerge, au côté de Calvin, comme leader incontesté des Eglises réformées, les deux hommes ayant scellé par le Consensus Tigurinus l’entente sur la signification de la cène.

 Ecrivain prolifique

     L’influence de Bullinger sur le protestantisme suisse et européen est décisive et durable, culminant dans son testament théologique personnel élaboré entre 1561 et 1564, la Confession helvétique postérieure, publié en 1566. L’opportunité de cette publication est offerte par Frédéric III, prince électeur palatin, qui avait demandé à Théodore de Bèze et Heinrich Bullinger un texte fondateur qu’il devait présenter à la Diète impériale. Les 30 thèses qui la composent ont immédiatement un grand retentissement. En Suisse, elles sont adoptées par tous les cantons réformés et très bien accueillies dans l’ensemble de l’Europe réformée. Elles sont traduites en français et en anglais. La Confession est contresignée par le Synode de Glasgow, par celui de Debreczen, en Hongrie, fait référence en Pologne, moyennant quelques légères modifications. On lui connaît 80 éditions. Malgré un langage propre au XVIe siècle, la Confession reste une référence pour les Eglises réformées évangéliques encore aujourd’hui.

     Bullinger entretint aussi une correspondance fournie avec de nombreuses personnalités de tous les milieux culturels et sociaux, des pasteurs aux princes en passant par des hommes politiques. On estime l’ensemble de ses lettres envoyées et reçues à 12.000. Il fut aussi considéré comme un diplomate hors pair, se préoccupant, entre autres, du sort des Huguenots et intervenant en leur faveur, avec Théodore de Bèze, auprès de nombreux ambassadeurs français, s’opposant fermement à leurs campagnes de recrutement de mercenaires suisses. Avec sa femme, ils accueillirent de nombreux réfugiés, surtout français.

     Son goût pour l’écriture le conduisit à publier 124 ouvrages ayant fait l’objet, de son vivant, de nombreuses éditions et traductions et qui se répandirent à travers le monde entier. La première prédication tenue par des émigrants à New York est de lui! Son livre le plus célèbre demeure son Hausbuch, qui réunit 50 prédications.

     Après avoir exercé son ministère zurichois durant 44 ans, Heinrich Bullinger meurt le 17 septembre 1575. Durant l’année 2004, les cantons de Zurich et d’Argovie ont organisé de nombreuses manifestations rendant un hommage mérité à ce grand réformateur, le faisant par-là même sortir de l’ombre de Zwingli.


Auteur: René Neuenschwander
Paru dans Bible-Info , hiver 2004